Bilan du Canada en Matière de Financement Mixte

Après des réductions constantes des dépenses de l’aide publique au développement (APD) et de l’espace politique sous les conservateurs de Stephen Harper (2006 à 2015), le financement mixte et l’engagement du secteur privé sont au cœur du plan du gouvernement du Canada pour relancer le programme de développement mondial du Canada.

Bien que les niveaux traditionnels de l’APD continuent de stagner, Affaires mondiales Canada (AMC) a intensifié sa promotion du « financement novateur du développement durable » et s’est positionné en tant que défenseur du financement mixte. Au Canada, consacrer plus de fonds publics en vertu de l’APD afin de soutenir le secteur privé au nom du ‘développement’ est une tendance en constante évolution par l’entremise de politiques, d’institutions, de fonds et de programmes créés pour faciliter l’approche au financement mixte du Canada dans le développement international. Vous trouverez ci-dessous quelques exemples du bilan du Canada à ce jour.

Institutions

En 2015, le gouvernement a annoncé le lancement de Convergence dans le cadre des négociations sur le financement du développement à Addis-Abeba (Éthiopie). Ayant son siège social à Toronto, la plateforme de Convergence est un « réseau mondial d’acteurs publics, privés et philanthropiques » dont le but est de faciliter les ententes de financement mixte avec des données et l’intelligence. Elle a été conçue par plusieurs partenaires mondiaux, dont l’ex-ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada (MAECD), maintenant Affaires mondiales Canada (AMC), le Forum économique mondial et divers groupes-conseils du secteur privé. En 2024, Convergence continue de dépendre largement d’AMC pour son budget de fonctionnement, mais a également reçu des subventions et des contributions du Department of Foreign Affairs and Trade de l’Australie et d’acteurs du secteur privé comme les fondations Ford, Citi et MacArthur. Selon AMC, depuis sa création, Convergence est devenue le « leader international expert du financement mixte. »

En janvier 2018, Exportation et développement Canada (EDC), l’organisme national de crédit à l’exportation, a lancé une filiale, l’Institut de financement du développement du Canada (FinDev). Le mandat de FinDev est d’appuyer « le secteur privé dans les marchés en développement afin de promouvoir le développement durable » en se concentrant sur la création d’emplois (par l’entremise du développement des marchés), l’autonomisation économique des femmes, ainsi que l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets. L’institution offre « des solutions financières telles que la dette, les capitaux propres et les garanties aux clients exerçant leurs activités dans des pays en développement ». En date de 2023, on estime que FinDev Canada a reçu 1,3 milliard de dollars par l’entremise d’EDC.

Les efforts de FinDev ciblent exclusivement l’Amériques latine, les Caraïbes et l’Afrique subsaharienne en raison d’affirmations à l’effet que « les plus grandes forces et expériences » du Canada se trouvent dans ces régions géographiques. FinDev cible des investissements dans des secteurs liés à la « croissance verte » (c’est-à-dire l’énergie renouvelable, l’infrastructure, la gestion de l’eau, etc.), l’agriculture et les finances. De plus, tout comme Convergence, FinDev met l’accent sur la nécessité de ‘combler le déficit’ dans le financement nécessaire pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies.

Bien que le portefeuille de placements de FinDev soit enrobé de mystère, il continue de croître chaque année. Entre 2021 et 2024, les engagements signés de FinDev sont passés de 326 millions de dollars avec 23 clients à 966 millions de dollars américains avec 46 clients. Toutefois, même si son portefeuille croit, la mesure de ses répercussions et résultats sur le développement est souvent obscure et fortement douteuse. En dépit de son échec à démontrer de façon cohérente les progrès qui ont été faits vers ses objectifs de développement et des nombreuses critiques par la société civile quant à son approche, le gouvernement du Canada continue d’aller de l’avant avec cette approche financiarisée à l’aide internationale.

Politiques

Changements à la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle et à la nouvelle Loi sur l’aide financière internationale

En plus de la création de FinDev, le gouvernement fédéral a également apporté des changements importants à la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle du Canada. Alors qu’avant ces changements l’APD était définie comme étant des subventions concessionnelles et des prêts à des conditions très favorables qui servent à améliorer le développement économique et le niveau de vie des pays en développement, le projet de loi C-86 de 2018 a essentiellement éliminé cette définition, accordant aux ministres le pouvoir unilatéral de définir l’APD comme bon leur semble. C’est important parce que l’APD peut maintenant être utilisée pour essentiellement toute offre de financement à des gouvernements locaux ou nationaux et cache ainsi de quelle façon les fonds publics parviennent aux pays en développement, y compris quels intérêts sont servis.

De plus, le projet de loi allège les exigences en matière de rapports, laissant au gouvernement 12 mois après la fin de l’exercice financier pour finaliser son rapport annuel au sujet de l’APD (au lieu de 6 mois comme c’était le cas auparavant) et abroge les articles qui exigent que le ministre des Finances dépose un rapport additionnel sur les positions et les résolutions adoptées à la Banque mondiale et au FMI. Le projet de loi C-86 promulgue également une nouvelle Loi sur l’aide financière internationale qui entoure d’encore plus de mystère ce en quoi consiste l’APD, comme les deux mesures mentionnées ci-dessus, et réduit la transparence et la responsabilité. La promulgation de la Loi sur l’aide financière internationale permet également l’utilisation de fonds publics pour assurer des prêts à des organismes privés et de la part d’organismes privés, ainsi qu’une dépendance accrue aux prêts plutôt qu’aux subventions comme principal moyen pour l’offre de l’APD. Cela ouvre la porte à des recours illimités au levier financier des marchés financiers pour financer et garantir par nantissement de titres l’APD et encourage davantage une administration publique fondée sur un modèle d’entreprise pour l’aide. Ces développements augmenteront la financiarisation de l’aide internationale et encourageront les intérêts intégrés du secteur privé dans la politique gouvernementale officielle et les lois.

Fonds et programmes

Le Fonds Égalité et la Politique d’aide internationale féministe

En 2019, le gouvernement du Canada a fait une contribution de 300 millions de dollars canadiens (225 millions de dollars américains) afin de créer le Fonds Égalité, un projet qui a pour but de « réunir les secteurs des subventions, de la philanthropie et de l’investissement au sein d’une même plateforme » afin de mobiliser les ressources pour les organisations et les mouvements de défense des droits des femmes dans les pays en développement. Le Fonds affirme promouvoir les objectifs de la Politique d’aide internationale féministe (PAIF) du Canada, y compris les conséquences et l’intégration d’une approche fondée sur le genre dans les investissements avec le financement de multiples intervenants, dont le gouvernement du Canada, des organisations philanthropiques, des investisseurs du secteur privé et des organisations non gouvernementales. Avec un engagement à l’égard des outils féministes et innovants pour le financement, y compris le financement mixte, le Fonds Égalité a pour but (lien en anglais seulement) de « dégager du nouveau capital pour les organisations et les mouvements de défense des droits des femmes. »

Pour en apprendre davantage :

Le Programme d’innovation en aide internationale

En 2019, le Canada a lancé le Programme d’innovation en aide internationale (PIAI), un programme pilote de cinq ans (2019 à 2024) de 900 millions de dollars canadiens ciblant des investissements qui aident à mobiliser des investissements privés supplémentaires dans les pays en développement. Comme tous les programmes de financement mixte du Canada, le PIAI a pour but d’utiliser le financement mixte pour aider à augmenter le financement afin d’atteindre les ODD selon trois objectifs : renforcement de marchés au moyen d’investissements en faveur des populations pauvres; mobiliser les financements publics et privés pour le développement durable; et promouvoir l’égalité des genres. À l’origine, le PIAI avait été annoncé comme étant une possibilité de financement à divers acteurs canadiens, dont des organisations de coopération au développement, bien que très peu ont pu avoir accès au financement, et nous savons peu de choses au sujet des programmes et des projets qui ont reçu du financement.